Agents cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction (CMR) | Traçabilité de l'exposition des travailleurs
Publié le Mis à jour le 26/09/2024 |
Le décret n° 2024-307 du 4 avril 2024 introduit de nouvelles dispositions imposant à l’employeur d’établir la traçabilité de l’exposition des travailleurs aux agents chimiques cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction (CMR), via une liste des travailleurs susceptibles d’être exposés à ces agents chimiques tels que définis à l’article R. 4412-60 du code du travail, avec une entrée en vigueur le 5 juillet 2024.
Les articles R. 4412-93-1 à R. 4412-93-4 imposent à l’employeur :
- D’établir une liste nominative et actualisée des travailleurs susceptibles d’être exposés aux agents CMR. Cette liste précise, pour chaque travailleur, les substances CMR auxquelles il est susceptible d’être exposé ainsi que les informations connues sur la nature, la durée et le degré de son exposition ;
- De tenir cette liste à la disposition des travailleurs et des membres du comité social et économique (CSE) dans sa version anonymisée ;
- De communiquer aux services de prévention et de santé au travail (SPST) ces informations afin qu’elles soient versées dans le dossier médical en santé au travail (DMST) et que la liste soit conservée pendant au moins 40 ans.
Ces obligations concernent également les entreprises utilisatrices dans lesquelles interviennent des travailleurs temporaires, afin d’informer les entreprises de travail temporaires des données à transmettre à leur SPST.
L’employeur est libre de définir la trame de liste des travailleurs susceptibles d’être exposés aux agents chimiques CMR.
Présentation générale de la mise en œuvre de la liste nominative des travailleurs susceptibles d’être exposés aux agents chimiques cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction (CMR)
Conformément à la directive (UE) 2022/431 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2022, le décret n° 2024-307 du 4 avril 2024 introduit des dispositions nouvelles pour l’employeur permettant de mieux structurer la traçabilité de l’exposition des travailleurs aux agents chimiques cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction. L’employeur est tenu, dans un délai de 3 mois après l’entrée en vigueur du texte, soit d’ici le 5 juillet 2024, d’établir une liste des travailleurs susceptibles d’être exposés aux agents chimiques CMR tels que définis à l’article R. 4412-60 du code du travail (CMR de catégorie 1A/1B et arrêté du 26 octobre 2020 modifié fixant la liste des substances, mélanges et procédés cancérogènes au sens du code du travail).
La constitution d’une telle liste permet de répondre à l’objectif d’une meilleure information des travailleurs et de leurs représentants au comité social et économique, ainsi que des services de prévention et de santé au travail et services de santé au travail en agriculture concernant l’exposition professionnelle aux agents chimiques CMR.
Contenu de l’obligation
Le nouvel article R. 4412-93-1 du code du travail prévoit que cette liste indique, pour chaque travailleur, les substances CMR auxquelles il est susceptible d’être exposé ainsi que, lorsqu’elles sont connues, les informations sur la nature, la durée et le degré de son exposition.
Elle est tenue par l’employeur à la disposition :
- Des travailleurs pour les informations qui les concernent personnellement ;
- Des travailleurs et des membres de la délégation du personnel du comité social et économique (CSE) dans sa version anonymisée.
L’employeur communique également aux services de prévention et de santé au travail (SPST) ou services de santé au travail en agriculture (SSTA) ces informations afin qu’elles soient versées dans le dossier médical en santé au travail (DMST)1, en particulier les informations connues sur l’exposition professionnelle.
Ces obligations concernent également les entreprises utilisatrices dans lesquelles interviennent des travailleurs temporaires, afin d’informer les entreprises de travail temporaires des données à transmettre à leur SPST ou SSTA.
Cette liste est conservée par les SPST et les SSTA pendant une période d’au moins 40 ans après la cessation de l’exposition, en cohérence avec les délais de conservation du document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP) et du DMST et consolidant ainsi le dispositif de traçabilité des expositions professionnelles aux agents chimiques CMR.
Le code du travail prévoit déjà plusieurs dispositions permettant de réaliser la traçabilité des expositions des travailleurs et notamment aux agents CMR.
Les dispositions existantes en matière de prévention et de traçabilité sur lesquelles s’appuyer pour compléter cette liste
Un délai de 3 mois est laissé aux employeurs après publication du décret pour mettre en œuvre cette disposition.
Pour la constituer, l’employeur peut s’appuyer sur plusieurs dispositifs existants et tout particulièrement :
Les résultats de l’évaluation des risques
Pour toute activité susceptible de présenter un risque d'exposition à des agents chimiques CMR, l'employeur évalue la nature, le degré et la durée de l'exposition des travailleurs afin de pouvoir apprécier les risques pour leur santé ou leur sécurité et de définir les mesures de prévention à prendre (article R. 4412-61 du code du travail). Les résultats sont consignés dans le DUERP prévu à l’article L. 4121-3-1 du code du travail au sein duquel l’employeur répertorie l’ensemble des risques professionnels et qui assure la traçabilité collective de ces expositions.
Ainsi, pour élaborer la liste des travailleurs susceptibles d’être exposés aux agents chimiques CMR, il peut être fait référence aux sections ou annexes du DUERP qui contiennent les informations actualisées sur la nature, le degré et la durée de l’exposition.
Le document adressé par l’employeur au SPST ou au SSTA au titre du suivi individuel renforcé, pour ce qui concerne les expositions aux agents CMR
Prévu par l’article D. 4622-22 du code du travail, ce document précise le nombre et la catégorie des travailleurs à suivre et les risques professionnels auxquels ils sont exposés, notamment les risques mentionnés à l'article R. 4624-23, qui permettent au travailleur de bénéficier d'un suivi individuel renforcé de son état de santé.
Si nécessaire, l’employeur peut bénéficier de l’appui du SPST ou SSTA en reprenant des éléments de la fiche d’entreprise ou d’établissement, mise à jour par le médecin du travail ou l'équipe pluridisciplinaire du SPST ou SSTA. Figurent dans cette fiche, notamment, les risques professionnels et les effectifs de salariés qui y sont exposés, conformément à l’article R. 4624-46 du code du travail.
D’autres sources d’information peuvent également être utiles, tels que les éléments d’informations mis à dispositions du CSE et des travailleurs en application de l’article R. 4412-86 du même code quand un risque lié à un CMR est identifié, dont :
« 1° Les activités ou les procédés industriels mis en oeuvre, y compris les raisons pour lesquelles des agents cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction sont utilisés ;
2° Les quantités fabriquées ou utilisées de substances ou préparations qui contiennent des agents cancérogènes mutagènes ou toxiques pour la reproduction ; […]
6° La nature et le degré de l'exposition, notamment sa durée […]. »
Les résultats des mesurages des valeurs limites d’exposition professionnelle (VLEP) et les rapports de contrôle technique, qui sont communiqués par l'employeur au médecin du travail et au CSE, conformément à l’article R. 4412-79 du code du travail, permettent également de recueillir des données utiles à la constitution de cette liste.
D’autres productions existantes peuvent être utilisées comme la notice de poste. Prévue à l’article R. 4412-39 du code du travail par laquelle l’employeur est tenu d’informer les travailleurs des risques auxquels leur poste ou situation de travail peut les exposer et notamment les informations relatives aux agents chimiques dangereux auxquelles ils sont susceptibles d’être exposés.
L’employeur est libre de définir la trame de liste des travailleurs susceptibles d’être exposés aux CMR. Il ne s’agit pas de réhabiliter la fiche individuelle d’exposition ou l’attestation d’exposition telles qu’elles étaient prévues jusqu’en 2012. Il ne s’agit pas non plus d’un dispositif similaire à la fiche d’exposition à l’amiante telle que prescrite à l’article R. 4412-120 du code du travail.
Foire aux questions
Agents chimiques cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction (CMR)
Les agents chimiques CMR visés par l’obligation de traçabilité issue du décret n° 2024-307 du 4 avril 2024 sont définis par l’article R. 4412-60 du Code du travail :
« On entend par agent cancérogène, mutagène ou toxique pour la reproduction les substances ou mélanges suivants :
- Toute substance ou mélange qui répond aux critères de classification dans la catégorie 1A ou 1B des substances ou mélanges cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction définis à l'annexe I du règlement (CE) n° 1272/2008 ;
- Toute substance, tout mélange ou tout procédé défini comme tel par arrêté conjoint des ministres chargés du travail et de l’agriculture ».
Il s’agit ainsi des agents chimiques CMR de catégorie 1A/1B et de ceux listés par l’arrêté du 26 octobre 2020 modifié fixant la liste des substances, mélanges et procédés cancérogènes au sens du Code du travail.
L’obligation, introduite par le décret n° 2024-307 du 4 avril 2024, d’établir une liste indiquant pour chaque travailleur les substances CMR auxquelles il est susceptible d'être exposé, n’a pas modifié les modalités d’identification des agents chimiques dangereux.
Pour rappel, les mélanges peuvent être classés CMR par calcul selon la concentration des différentes substances qui le composent. Ainsi, il peut y avoir des situations où les substances CMR présentes dans le mélange ne sont pas en concentration suffisante pour classer le mélange CMR. Malgré l’absence de classement de ces mélanges les travailleurs peuvent toujours être exposés à ces substances (en fonction de divers paramètres tels que la quantité de mélange utilisé, le procédé mis en œuvre, les propriétés physico-chimiques des co-formulants…).
A titre d’exemple, l’utilisation de bombes aérosols pour des peintures ou des vernis non classées peut conduire à une exposition possiblement significative d’une substance CMR à des concentrations au-delà du seuil de classification après évaporation rapide des gaz propulseurs.
Il est de la responsabilité de l’employeur d’établir si les travailleurs sont susceptibles d’être exposés à ces substances à partir des résultats de l’évaluation des risques et, à ce titre, identifier les substances CMR à rapporter dans la liste à fournir aux services de prévention et de santé au travail (SPST) ou services de santé au travail en agriculture (SSTA).
Évaluation des risques et contenu de la liste des travailleurs exposés aux agents cancérogènes mutagènes ou toxiques pour la reproduction
Depuis le 1er janvier 1993, en application de l’article R. 4412-61 du Code du travail, pour toute activité susceptible de présenter un risque d'exposition à des agents chimiques CMR, l'employeur évalue la nature, le degré et la durée de l'exposition des travailleurs afin de pouvoir évaluer les risques pour leur santé ou leur sécurité et de définir les mesures de prévention à prendre.
Le décret n° 2024-307 du 4 avril 2024 introduit le principe de tracer dans une liste nominative ces informations, lorsqu’elles sont connues.
Les notions de nature, degré et durée de l’exposition des travailleurs ne sont pas nouvellement introduites par ce texte car elles sont normalement recueillies pour l’évaluation des risques et consignées dans le document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP) (article R. 4412-93-1).
Si nécessaire, l’employeur peut bénéficier de l’appui du service de prévention et de santé au travail (SPST) ou service de santé au travail en agriculture (SSTA) en reprenant des éléments de la fiche d’entreprise ou d’établissement, mise à jour par le médecin du travail ou l'équipe pluridisciplinaire du SPST ou SSTA (R. 4624-46 du Code du travail).
D’autres sources d’information peuvent également être utiles, tels que les éléments d’informations mis à dispositions du comité social et économique (CSE) et des travailleurs en application de l’article R. 4412-86 du même Code quand un risque lié à un CMR est identifié.
Les résultats des mesurages des valeurs limites d’exposition professionnelle (VLEP moyennées sur 8 heures d’exposition, ou court terme sur 15 minutes) et les rapports de contrôle technique, qui sont communiqués par l'employeur au médecin du travail et au CSE, conformément à l’article R. 4412-79 du Code du travail, permettent également de recueillir des données utiles à la constitution de cette liste.
La notice de poste, prévue à l’article R. 4412-39 du Code du travail, par laquelle l’employeur est tenu d’informer les travailleurs des risques auxquels leur poste ou situation de travail peut les exposer, peut également contenir des informations notamment sur la nature des expositions.
Pour le renseignement de ces éléments dans la liste des travailleurs exposés à des CMR, il peut être fait référence aux parties du DUERP ou ses annexes les contenants (par exemple en indiquant les groupes d’expositions homogènes (GEH) auxquels est rattaché le travailleur), si les éléments descripteurs des expositions du travailleurs y sont suffisamment détaillés.
L’article R. 4412-93-1 du Code du travail dispose que la liste des travailleurs susceptibles d'être exposés aux agents chimiques CMR est établie sur la base des résultats de l’évaluation des risques consignés dans le document unique (DUERP).
Les expositions des travailleurs aux CMR peuvent être accidentelles ou anormales comme l’envisagent notamment les articles R. 4412-21, R. 4412-70, R. 4412-83, et R. 4412-92 du Code du travail.
Les expositions anormales recouvrent notamment des expositions visées à l’article R. 4412-75 lors d’activités telles que l'entretien ou la maintenance des équipements et installations, pour lesquelles la possibilité d'une augmentation sensible de l'exposition est prévisible.
Il ressort de ce qui précède que les expositions anormales à des agents CMR figurant dans le DUERP, elles doivent être renseignées dans la liste ou par renvoi à la partie du DUERP contenant l’information d’un tel évènement.
La traçabilité des expositions accidentelles potentielles à des substances CMR dans la liste, n’est en revanche pas requise par les dispositions du décret du 4 avril 2024, car elles ne sont pas nécessairement prévisibles. Cependant, si l’employeur les a identifiées, il peut les intégrer.
Il convient de préciser que cette nouvelle obligation d’établir une liste des travailleurs susceptibles d'être exposés aux CMR est sans préjudice des dispositions de l’article R. 4412-92 du Code du travail prévoyant que les travailleurs et les membres du comité social et économique, ainsi que le médecin du travail, sont informés le plus rapidement possible des expositions anormales, de leurs causes et des mesures prises ou à prendre pour y remédier.
L’article R. 4412-120 du Code du travail prévoit déjà une traçabilité des expositions à l’amiante via une fiche d'exposition indiquant :
- La nature du travail réalisé, les caractéristiques des matériaux et appareils en cause, les périodes de travail au cours desquelles il a été exposé et les autres risques ou nuisances d'origine chimique, physique ou biologique du poste de travail ;
- Les dates et les résultats des contrôles de l'exposition au poste de travail ainsi que la durée et l'importance des expositions accidentelles ;
- Les procédés de travail utilisés ;
- Les moyens de protection collective et les équipements de protection individuelle utilisés.
Par conséquent, l’employeur n’a pas l’obligation d’intégrer dans cette liste les expositions des travailleurs à l’amiante. Cependant, s’il le juge nécessaire, il peut les incorporer.
Mise en œuvre opérationnelle de la liste des travailleurs
L’employeur est libre de définir le format de la liste des travailleurs susceptibles d’être exposés aux CMR.
Il ne s’agit pas de réhabiliter la fiche individuelle d’exposition ou l’attestation d’exposition telles qu’elles étaient prévues jusqu’en 2012. Il ne s’agit pas non plus d’un dispositif similaire à la fiche d’exposition à l’amiante telle que prescrite à l’article R. 4412-120 du Code du travail.
L’article R. 4412-93-2 du Code du travail prévoit que l’employeur :
- tient à disposition des travailleurs les informations de cette liste qui les concernent personnellement ;
- tient également les informations de cette liste, présentées de manière anonyme, aux membres de la délégation du personnel du comité social et économique (CSE).
En vertu de l’article R. 4412-93-3, l’employeur communique la liste (et donc l’intégralité des informations de ce document), ainsi que ses actualisations, aux services de prévention et de santé au travail (SPST) ou services de santé au travail en agriculture (SSTA) ; les informations de la liste sont versées dans le dossier médical en santé au travail (DMST) ; les données conservées dans le DMST sont personnelles et propres à chaque salarié.
Concernant les travailleurs temporaires, le nouvel article R. 4412-93-4 prévoit que l’entreprise utilisatrice dans laquelle intervient un travailleur temporaire, communique à l'entreprise de travail temporaire les informations de la liste prévue à l'article R. 4412-93-1, ainsi que, le cas échéant, leurs actualisations, concernant ce travailleur.
Les entreprises de travail temporaire ont quant à elles l’obligation de transmettre ces informations à leur service de prévention et de santé au travail ou leur service de santé au travail en agriculture, en vue de compléter le dossier médical en santé au travail prévu à l'article L. 4624-8.
La liste est conservée par les SPST et les SSTA pendant une période d’au moins 40 ans après la cessation de l’exposition, en cohérence avec les délais de conservation du document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP) et du dossier médical en santé au travail (DMST) et consolidant ainsi le dispositif de traçabilité des expositions professionnelles aux agents chimiques CMR.
Le décret ne précise pas la fréquence d’actualisation et de transmission au SPST ou SSTA de la liste mais elle doit être définie en fonction de l’actualisation de l’évaluation des risques et du DUERP.